L’amour et le couple : illusions et désillusions

Un couple est déja, en soi, une ébauche de psychothérapie. Si tant est, évidemment, que les deux partenaires fassent l’effort de comprendre ce qui les unit. Ainsi que ce qui, parfois, les éloigne, et ce qui, d’autres fois, les rapproche. Un couple est une recette d’alchimiste, dont les résultats peuvent être aussi bien vecteurs d’épanouissement que de conflit – souvent les deux. Dans tous les cas, la cohabitation (ou tout du moins la liaison très rapprochée) de deux êtres différents ne peut manquer de provoquer, chez l’un et chez l’autre, un positionnement individuel jusqu’ici inédit : une source précieuse de réflexion sur soi-même, ses vrais désirs et ses vrais besoins.

Au cours de l’Histoire, nous avons observé que la notion de couple, en tant que modèle sociétal, a beaucoup évolué. Tantôt alliance politique ou financière, tantôt étape nécessaire du salut de l’âme humaine, le couple semble aujourd’hui s’être affranchi de beaucoup de ses conventions, qui cloisonnaient autrefois chacun de ses membres au sein de rôles socialement déterminés. Plusieurs facteurs ont mené à cet affranchissement. Tout d’abord, le fait de vivre dans un pays en paix à l’intérieur de ses frontières : la société n’est plus, comme elle l’a été pendant longtemps, organisée pour gérer un danger mortel permanent. Elle ne nécessite plus le recours au mariage comme solution politique. Notre société est également en bonne santé économique. Si de profondes inégalités subsistent, la plupart des citoyens a accès à l’emploi, ainsi qu’à des conditions permettant la satisfaction des besoins fondamentaux. Le mariage n’est plus une question de vie ou de mort, et est aujourd’hui rarement perçu comme la condition d’une amélioration du niveau de vie de la famille.

De même, la religion est séparée de l’Etat et occupe de moins en moins de place dans la vie quotidienne : le mariage est aujourd’hui moins perçu comme un serment éternel et incorruptible devant le ciel que comme une convention sociale rendant la relation « officielle ». On se marie moins sous le regard de Dieu que sous le regard des amis, de la famille et des photographes. Dévêtu de son caractère mystique et transcendantal, le mariage a évidemment perdu de sa force – voire, pour certains, de sa raison d’être.

Enfin, la libération sexuelle de la seconde moitié du 20ème siècle a engendré une profonde révolution sociale, dont on n’a pas fini de mesurer les effets aujourd’hui. La libération des femmes leur a permis de s’émanciper de structures où elles étaient souvent opprimées. De façon générale, la vie de couple était très différente autrefois. Une bonne partie de ce qui constituait la vie de couple de nos ancêtres nous paraîtrait aujourd’hui inconcevable. Sans doute chacun se faisait-il ses raisons, comme nous le faisons aujourd’hui quand les choses vont mal.

Car notre époque est loin d’être parfaite : certes, le couple (ainsi que toutes les notions qui s’y rattachent : l’amour, le sexe, le mariage…) est de moins en moins régi par des conventions sociales strictes et austères. S’en porte-t-il mieux ? A première vue, le chiffre de 45% laisse penser le contraire : il s’agit du pourcentage de mariages se terminant par un divorce, en France. Au rang des accusés : la société de consommation et un individualisme galopant, n’ayant de cesse de corrompre les mœurs en répandant l’idée que tout est jetable, jusqu’au partenaire amoureux.

Malgré tous ces facteurs, et malgré le nombre accablant de divorces, les couples continuent de se marier. Les êtres humains seraient-ils poussés à vivre en couple par d’autres forces que celles de la sécurité matérielle ou de la religion ? Si l’on jette un coup d’œil chez nos amis les animaux, on constate que l’idée d’un couple fidèle pour la vie n’est pas une aberration typiquement humaine. Si la monogamie est répandue chez les oiseaux pour des raisons de survie de l’espèce (mâle et femelle se partageant souvent les tâches de recherche de nourriture et de couvaison des œufs), celle qui touche les mammifères est plus rare et plus complexe à analyser. On remarque tout de même que la monogamie est bien plus répandue chez les primates que chez les autres mammifères. Difficile de dire quelle est la nature réelle de l’être humain, celui-ci ayant développé une civilisation éminemment évoluée, mais une chose est sûre : pour la plupart des gens aujourd’hui, la quête de l’Amour passe par la recherche de celle ou celui avec qui on aura envie de rester toute sa vie.

L’assouplissement des conventions sociales a laissé place à un questionnement intense au sujet de ce qu’est l’amour. De nombreuses illusions subsistent aujourd’hui et sont à la base de beaucoup de séparations. Sur le plan psychologique, une illusion qui s’éteint entraîne irrémédiablement des conséquences négatives : notamment, une démoralisation et une vision pessimiste de l’avenir. Lorsque cette désillusion se propage à l’amour lui-même, c’est souvent le début d’une longue déprime, voire la naissance d’une attitude cynique.

Afin d’aider chaque couple à traverser les problèmes qui lui sont propres, je trouve important de mettre fin à certains mythes. L’amour entre un prince et une princesse, que l’on trouve dans les contes pour enfants, est une histoire merveilleuse et transcendante, qui donne envie à chacun de trouver la même chose le long du chemin de sa vie. Dans le même ordre d’idées, il est habituel qu’un enfant perçoive ses parents comme des êtres supérieurs : une mère aussi formidable qu’une déesse et un père si fort et si intelligent qu’il en est quasiment indestructible. En grandissant, l’enfant se rend progressivement compte de la grande approximation de ce type de croyances. Celles qui concernent l’Amour sont pourtant tenaces, et les références de la société contemporaine ne sont pas pour l’affaiblir.

Des chansons tubes de la radio aux films hollywoodiens du box-office, l’Amour sauce contes-de-fées est partout. Et ce, même lorsqu’on le débarrasse des conventions jugées trop poussiéreuses : il dépasse à présent largement les considérations nationales, sociales, culturelles, sexuelles. Pourtant, restent quelques illusions sur ce que le couple devrait être. Ces illusions, si l’on s’y réfère au sein du couple, peuvent très facilement mener à des conflits.

 

Couple fusionnel = bonheur

L’erreur de croire que la fusion entre deux êtres mène au bonheur conjugal vient de la confusion entre intimité et fusion. Ces deux notions n’apportent pas la même importance au respect de l’individualité. L’intimité est le rapport qu’entretiennent deux personnes qui se connaissent bien, s’affectionnent mutuellement et se respectent. Elle signifie que les deux membres du couple s’acceptent tels qu’ils sont et sont désireux de vivre ensemble dans leurs différences. C’est justement leurs différences qui les fait s’aimer l’un l’autre, qui suscite leur émerveillement et leur admiration. La fusion, au contraire, est le rapport entre deux individus mal différenciés, qui aimeraient ne former qu’une seule personne, niant par là-même leurs identités respectives, leurs besoins et leurs désirs propres. Chacun, pour être heureux, voudra projeter ses aspirations chez l’autre, et s’énervera de ne jamais les y voir complètement. Chacun voudra que l’autre lui ressemble et pense comme lui, constamment frustré que cela ne soit pas le cas. Un couple intime traversera un conflit en prenant en compte les différences de chacun, en tentant de faire un compromis, en travaillant sur soi tout en respectant l’autre dans son altérité, son individualité. Un couple fusionnel stagnera dans n’importe quel conflit, toujours pris au dépourvu face à l’autre, face à des différences que chaque désaccord fera apparaître comme aussi immenses qu’un canyon. L’intimité accepte l’Autre et voit le couple comme l’union de deux individus ; la fusion rejette l’Autre et voit le couple comme le mélange vaguement humanoïde de deux êtres qui ont choisi de s’oublier en tant que tels.

Toute thérapie conjugale part du principe qu’un couple est constitué de deux êtres humains possédant leur identité propre, et ce n’est qu’en acceptant les différences de chacun, en travaillant dessus, qu’un couple peut sortir d’une crise.

 

Les différences entre hommes et femmes

L’organisation sociale de nos sociétés a longtemps attribué à l’homme et à la femme des rôles respectifs ; ces rôles ne devaient pas se mélanger. L’homme était dévolu au rôle du pourvoyeur, du chasseur et de l’aventurier ; la femme, à celui de mère au foyer. Cette démarcation nette entre les deux sexes est aujourd’hui en partie révolue : la femme peut travailler pendant que l’homme garde les enfants, sans que cela ne soit considéré comme ridicule ou scandaleux. Pourtant des différences subsistent, alimentant des conflits qui s’installent jusqu’au sein du couple. Quelles sont les parts de nature et de culture, d’inné et d’acquis, dans les différences entre hommes et femmes ? Et à quoi cela peut-il servir de le savoir ?

Des différences de taille existent incontestablement au niveau anatomique et hormonal. Considérer que les différences de comportement entre hommes et femmes ne sont dues qu’à une forme de conditionnement culturel est une erreur. Il est tout aussi indésirable de maintenir chaque sexe dans un rôle socialement déterminé que de faire comme si les différences sexuelles n’existaient pas. Car alors, les raisons d’un comportement doivent être recherchées dans la personnalité même de l’individu, en enlevant la composante sexuelle. Les incompréhensions peuvent être nombreuses et variées, chacun se reprochant une attitude qui, bien que l’on puisse toujours travailler sur son attitude, reste profondément liée à son identité sexuelle. Ces attitudes seraient bien trop longues à lister ; suffit-il de dire que les incompréhensions et les conflits qu’elles suscitent mènent la vie dure à de nombreux couples.

 

L’amour et la passion

Une erreur commune est de prendre la passion des débuts pour de l’amour véritable, et croire que ce sentiment peut suffire à surmonter toutes les difficultés. Beaucoup de couples ne se relèvent pas d’une faute pareille. En effet, l’amour est ce qui arrive au-dela de la passion, lorsque les deux individus ont pris conscience de la personnalité réelle de l’un et de l’autre, et font le choix de s’accepter mutuellement. La passion ne s’embarrasse pas de tant de considérations : elle est viscérale, bouillonnante et aveuglante. On dit que l’amour est aveugle : celui qui a inventé ce dicton devait, en réalité, plutôt parler de la passion. La passion est ce qui entraîne deux individus qui ne se connaissent pas encore très bien, mais qui sont fascinés l’un par l’autre, ne peuvent se passer de leur présence, et surtout, s’idéalisent mutuellement. L’idéalisation rejette la réalité : on projette sur l’autre tout ce que l’on cherche, tout ce que l’on aime. N’entend-on pas les passionné(e)s de nature s’exclamer, à chaque nouvelle rencontre, que leur nouveau ou nouvelle partenaire rassemble toutes les qualités exquises dont il ou elle rêvait depuis toujours ? C’est l’aveuglement en question : sous l’emprise de la passion, intoxiqué par le plaisir que suscite en lui l’objet de sa convoitise, le passionné écarte inconsciemment ce qu’il ne veut pas voir, préférant conserver les sensations enivrantes des débuts de la relation.

Au contraire, l’amour véritable implique une certaine mesure de désenchantement, de désidéalisation. Nulle tristesse, pourtant, là-dedans : bien au-contraire. Loin de ternir la vision de l’autre, cette désidéalisation le fait apparaître sous ses vraies couleurs. La découverte de l’Autre est alors vécue dans ce qu’elle a de plus beau, de plus authentique. Ce n’est plus un mirage que l’on admire : c’est une personne de chair et d’os, avec son passé, ses idées, ses désirs, ses qualités, ses défauts … en un mot, son humanité. L’amour n’est pas l’amour d’une image ou d’une projection d’adolescent ; c’est l’amour d’un autre être que soi, que l’on apprend à aimer en même temps que l’on apprend à le connaître. Cela implique la connaissance profonde d’une personne, l’affection et l’admiration que l’on éprouve pour elle, et le choix de l’accepter entièrement dans sa vie, pour le meilleur et pour le pire.

 

Nombreuses sont les idées véhiculées dans la société au sujet du couple et de l’amour. Les raisons qui amènent à une thérapie conjugale peuvent être extrêmement variées ; la réussite d’une thérapie passera par la capacité de chacun à écouter l’autre et à se remettre en question, par la prise en compte de chacun dans son individualité propre. Toutes les recherches le prouvent : l’être humain est, en moyenne, significativement plus heureux en couple, tombe moins souvent malade, mange plus sainement et vit plus longtemps. A condition, évidemment, d’être heureux en couple : le jeu en vaut donc la chandelle.

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